Les oiseaux. Télérama Pascale Crom
Dans un très bel essai tout juste paru, Une pluie d’oiseaux 1, l’historienne de la littérature Marielle Macé s’intéresse, textes à l’appui, au « retour des oiseaux dans notre attention et dans nos inquiétudes ». « Pour la poésie, écrit la chercheuse, c’est le moment des retrouvailles avec un très ancien sujet, avec son plus ancien sujet peut-être. Car le rendez-vous du poème et de l’oiseau se confond presque avec l’histoire du lyrisme. » Cependant, si retrouvailles il y a, le motif naguère lié à la beauté, au chant, à la vie, incarne désormais l’anxiété face à la nature qu’on altère, qu’on saccage, et qui peu à peu se tait. Mort il y a plus d’un demi-siècle, le grand écrivain Tarjei Vesaas (1897-1970), homme du plateau du Telemark, comté montagneux du sud de la Norvège perclus de lacs étincelants et glacés, n’a peut-être rien su de cette inquiétude contemporaine. Même s’il était tout sauf ignorant de la pente destructrice d’une humanité que ses nombreux romans (Les Chevaux noirs, Le Germe, La Blanchisserie, L’Incendie…) observent avec un mélange d’âpre lucidité et d’authentique miséricorde.
Quand un beau matin il fait surgir une bécasse devant les yeux de Mattis, le personnage central de son roman Les Oiseaux (1957) – l’un de ses purs chefs-d’œuvre, avec Palais de glace (1963) –, c’est comme s’il faisait une offrande à celui que le village tient pour un benêt, une sorte d’homme-enfant qu’on moque ou rudoie volontiers : « Que vit-il en arrivant juste en bas du sentier : un oiseau. Un gros oiseau au plumage brillant, en plein milieu du chemin. Un oiseau qu’il ne connaissait pas. Le bec relevé, la tête tournée vers Mattis qui descendait par là. Qui est-ce ? se demanda-t-il, sans voix. Au fond de lui s’installa un vide dépaysant. Il s’était figé – et l’oiseau aussi. Que vois-je ! »
Comment dire le bouleversement que suscite cette rencontre dans l’esprit de Mattis, la relation qui se noue entre l’homme candide et la bécasse ? Comment dire l’émerveillement, le soulèvement, la joie pure ? De ses pattes, de son bec, ne sont-ce pas des messages à son intention que l’oiseau trace sur la terre sèche des fossés, sur le limon des bords du lac ? « Mattis n’avait aucun doute. Il était question d’une grande amitié. Pic pic pic. Une amitié éternelle, manifestement. Il se saisit d’un bâton et piqueta solennellement la boue pour répondre qu’il ressentait la même chose. Écrire dans la langue des oiseaux lui était facile. Ils allaient s’en raconter des choses, tous les deux. » Du moins les choses auraient-elles pu se passer ainsi, si la violence des hommes n’en avait décidé autrement…
Ainsi est Mattis, le simple d’esprit, affamé de lien, d’affection et d’intimité, mal à l’aise avec les autres hommes mais en communion directe avec la nature et l’ineffable – Mattis dont Tarjei Vesaas parvient, avec une mystérieuse pénétration, à se tenir au plus près des pensées les plus profondes et informulées. Nous ouvrant, vers sa psyché, peut-être même vers son âme, un accès « au-delà du langage organisé et conscient », écrivait Régis Boyer, immense connaisseur des littératures scandinaves et premier traducteur du livre (aux éditions Plein Chant, en 1987). Signée Marina Heide, la nouvelle traduction de ce roman faussement naïf, intensément spirituel, est d’une beauté limpide et éclatante.





















