Le claveciniste, organiste et chef d’orchestre hollandais Gustav Leonhardt est mort hier soir 16 janvier, dans sa maison d’Amsterdam, à l’âge de 83 ans. Il est mort, en quelque sorte, sur sa lancée : il ne s’était jamais arrêté dans son mouvement. Parce qu’il avait mieux lu Bach ou Scarlatti, parce qu’il avait mieux perçu les attentes de son clavecin, il avait redécouvert non seulement le style oublié d’une époque, le baroque, mais aussi la manière de la traiter, de se placer vis-à-vis d’elle : respectueuse et libre, rigoureuse et imaginative. Il était un oxymore vivant.
Suite de Bach en mi mineur (YouTube)
Son immense culture littéraire, picturale, musicale, organologique, y avait aidé. Mais son intuition, la sûreté de son goût, son talent, y furent déterminants. Il a donc fondé, de son vivant, une nouvelle tradition. Laquelle roule à présent sur ses rails, poussée par cette énergie tranquille qui était la sienne. Il avait annoncé comment on jouerait la musique de ces siècles étouffés par la poussière des habitudes, il l’a démontré jusqu’au bout de ses deux derniers récitals de décembre. Il fut dans l’histoire de l’art un exemple unique de prophète du passé.
(YouTube)
Mais il n’a pas prêché dans le désert. Il n’a d’ailleurs pas prêché, n’est monté dans nulle chaire, n’a jamais discuté, argumenté, persuadé. Il s’est imposé, dans un quasi mutisme aristocratique, par la seule force de ce qu’il faisait, et qui n’était que mouvement, vie, noblesse, beauté. "Grand style", aurait dit Nietzsche. Et ses élèves, qui ont laissé son art infuser en eux, vont poursuivre le mouvement. L’enthousiasme électrique qu’il soulevait dans le monde entier anime déjà les suivants. Maintenant que le cancer l’a emporté, il nous reste à faire sonner la musique comme lui l’entendait.