Jaccottet Philippe
Philippe Jaccottet s'installe, avec sa famille, à Lausanne en 1933. Son enfance est déjà marquée par l'écriture. À quinze ans, il offre à ses parents un ensemble de poèmes intitulé Flammes noires1. À seize ans, le 27 juin 1941, lors de la remise du prix Rambert, Jaccottet découvre Gustave Roud. Cette rencontre est déterminante pour le jeune poète : il la considère lui-même comme « décisive »2 ; elle donne progressivement naissance à une amitié que va concrétiser l'importante correspondance que s'échangent les deux hommes, de 1942 à la mort de Roud en 1976. Gustave Roud fait connaître au jeune homme le romantisme allemand et les poètes qu'il traduit, Novalis et Hölderlin3, mais aussi la beauté de la nature et des paysages4 qui entrent dès lors au cœur de sa sensibilité. C'est aussi la période où il commence à traduire, pour son plaisir : « Il y avait spontanément en moi un goût de cela »5. Après son baccalauréat, Jaccottet suit des études de lettres à l'Université de Lausanne, durant lesquelles ses écrits commencent à paraître dans des périodiques : il s'agit d'une pièce de théâtre, Perceval (lue au printemps 1945 à la Guilde du livre6), et de premiers poèmes7, dont « Élégie » (1943-4), « Pour les ombres » (1944) et « Les Iris »8 en 1945. C'est en mai 1945 qu'est publié son premier ouvrage, Trois poèmes aux démons, dont on dit que Jaccottet détruisait les exemplaires qu'il rencontrait ; puis, en 1946, il écrit une seconde pièce, La Lèpre9, qu'il n'a pas achevée (il ne reste plus de traces de ces deux pièces10). Il obtient sa licence de lettres en juillet 1946, mais ne veut pas enseigner. Cette même année, au cours d'un voyage en Italie, il rencontre Giuseppe Ungaretti et se lie d'amitié avec ce poète italien dont il commence à publier des traductions en 1948 dans Pour l'Art11. Puis Jaccottet s'installe à Paris, rue du Vieux Colombier, à l'automne 194612 où, engagé par l'éditeur Henry-Louis Mermod (qu'il a rencontré à Lausanne en 1944), il travaille sur des traductions (la première est La Mort à Venise de Thomas Mann), et publie de nombreux textes pour la presse, notamment pour la Nouvelle Revue de Lausanne, où sont publiés entre 1950 et 1970 plus de trois-cent cinquante articles de Jaccottet13. Par l'intermédiaire de Mermod, il fait de nombreuses rencontres, dont celle de Francis Ponge, avec qui il se lie d'amitié bien que leurs recherches poétiques soient très différentes14, de Jean Paulhan. Jaccottet fait découvrir, par des textes critiques, des poètes et des écrivains de sa génération qui vont devenir ses amis, dont Yves Bonnefoy, Jacques Dupin et André du Bouchet15. Ami de Pierre Leyris, il entretient aussi des liens avec le groupe de la revue 84, notamment avec André Dhôtel16 et Henri Thomas, dont la poésie a grandement influencé L'Effraie. C'est à cette époque, et grâce au contact, aux critiques et aux discussions avec ces amis relevant de groupes différents (entre lesquels Jaccottet se sentait partagé), que le poète commence à trouver « [sa] propre voix », en « baissant le ton » par rapport aux premiers textes16 (par exemple Requiem en 1947, poème écrit à partir de photographies d'otages durant la guerre et auquel il reprochera plus tard d'avoir été écrit « à partir d’une relation trop indirecte avec la mort »17). De cette époque date la rédaction de son premier recueil, L'Effraie. Publié en 1953 chez Gallimard dans la collection, discrète mais souterrainement prestigieuse que dirige Jean Paulhan, « Métamorphoses », ce livre marque un tournant : Jaccottet a longtemps considéré ce recueil comme le début de son œuvre. §« L'habitant de Grignan »[modifier | modifier le code] Les paysages de Grignan et des alentours sont très présents dans l'œuvre de Jaccottet. Cette même année, il s'installe, avec sa femme Anne-Marie Haesler, artiste peintre, à Grignan, dans la Drôme. La découverte autant « déterminante » qu'« inattendue » de Grignan fait de ce lieu et de ses environs « le lieu avant tous les autres » pour Jaccottet17 : dès lors, les paysages de Grignan vont apparaître dans nombre de textes. En outre, le choix de vivre loin des grands centres littéraires lui a permis, selon lui, de se « mettre à une distance salutaire [d']influences » qui auraient pu le paralyser dans son rapport avec la poésie18 : « C'était une façon de fuir pour mieux rester moi-même19. » Jaccottet poursuit depuis Grignan ses traductions, son écriture poétique, et collabore activement à La Nouvelle Revue française. Après une première recension critique sur Poésie non-traduite d'Armand Robin, en 1953, qu'accompagne la parution de certains de ses poèmes, Jaccottet va écrire en une vingtaine d'années plus d'une centaine d'articles sur les poètes contemporains, et ouvrir la NRF sur la littérature allemande20 ; il contribue toujours en même temps à La Nouvelle Revue de Lausanne et à la Gazette de Lausanne (de 1955 à 1970). Son fils Antoine naît en 1954. Le village de Beauregard-Baret apparaît dans Beauregard. Le 29 juin 1956, Jaccottet reçoit à son tour le prix Rambert. Mais les trois années suivantes sont une difficile traversée du désert poétique ; l'écrivain essaie d'en trouver l'issue par l'écriture en prose, avec les Éléments d'un songe et L'Obscurité (parus concomitamment chez Gallimard en août 1961), le récit le plus long de son œuvre, et une sorte de témoignage de cette crise21. En 1960 naît sa fille Marie. Durant les années 1960, Jaccottet travaille à l'édition et à la traduction de Friedrich Hölderlin et de Giuseppe Ungaretti, tout en écrivant pour la collection « Poètes d'aujourd'hui » une monographie sur Gustave Roud22 (publiée en 196823). En 1968 paraît L'Entretien des Muses, qui regroupe de nombreux textes critiques consacrés à la poésie française du xxe siècle. Les années 1970 sont marquées par plusieurs décès douloureux, parmi les amis (Gustave Roud en 1976 par exemple) et les parents du poète : la mort de son beau-père et de sa mère, en 1974 est évoquée par les livres de deuil Leçons et Chants d'en bas. Mais c'est également le temps de nouvelles amitiés, dont celle de Pierre-Albert Jourdan21 ; de nombreux peintres (dont Gérard de Palézieux) sont reçus à Grignan. La même période voit l'entrée de Jaccottet dans les collections « Poésie/Gallimard » et « Poètes d'aujourd'hui »24. En 1977, il publie À la lumière d'Hiver, recueil dans lequel il retrace son amour pour la nature et le monde, mais où le doute quant au pouvoir du langage s'est accru, en raison des épreuves : « facile à dire ! et trop facile de jongler avec le poids des choses une fois changées en mots !25 » En 1984 paraît chez Gallimard La Semaison, qui regroupe les carnets du poètes de 1954 à 1979 ; elle sera suivie, en 1996 puis en 2001, par deux autres ouvrages. 2001 voit également la parution de Et, néanmoins. Cette même année, à Truinas, Jaccottet assiste à l'enterrement de son ami le poète André du Bouchet : il narre cette matinée dans un ouvrage intitulé Truinas, le 21 avril 2001. Les années 2000 voient également d'autres pertes, que recense l' « Obituaire » de Ce peu de bruits, le dernier recueil actuellement paru (2008). Malgré une forme de pessimisme avoué et malgré la vieillesse, dans cet ouvrage mêlant proses et poèmes, la poésie et le contact avec la nature continuent à apporter réconfort et confiance. En 2011, le poète publie dans la collection Poésie de Gallimard son anthologie personnelle, L'encre serait de l'ombre, qui regroupe des textes écrits entre 1946 et 2008.
Philippe Jaccottet est mort, à 95 ans, à Grignan. Né à Moudon, en Suisse, en 1925, il s’était retiré dans le petit village drômois au début des années 1950. Il y vivait avec sa femme, la peintre Anne-Marie Haesler. Ami de Gustave Roud, Giuseppe Ungaretti et Francis Ponge, il a composé une œuvre poétique lumineuse, toujours aux confins de la rêverie, attentive aux infimes beautés, aux minuscules mystères comme aux plus vertigineux, dans une langue toujours plus épurée.